Image des champs magnétiques situés en périphérie d’un trou noir
Des chercheurs de la collaboration de l’Event Horizon Telescope (EHT) révèle l’aspect, en lumière polarisée, de l’objet massif situé au centre de la galaxie Messier 87 (M87). C’est la toute première fois que les astronomes peuvent mesurer la polarisation, une signature des champs magnétiques, à si grande proximité du pourtour d’un trou noir. Ces observations permettent de mieux comprendre la façon dont la galaxie M87, distante de quelque 55 millions d’années lumière, est capable d’éjecter des flux énergétiques depuis son noyau. Voici le podcast du site ça se passe là-haut consacré à cette observation suivi du communiqué de presse scientifique publié par l’ESO le 24 mars dernier :
Observation inédite de la polarisation de l’anneau de M87* (ça se passe là-haut)
La collaboration Event Horizon Telescope, qui avait produit la première image de l’ombre de l’horizon d’un trou noir (M87*), vient de publier des nouveaux résultats issus de ses données de 2017. Elles concernent la polarisation de la lumière, c’est à dire indirectement les champs magnétiques qui entourent le trou noir supermassif. Les deux articles de la collaboration, publiés dans The Astrophysical Journal Letters, qui forment la suite des 6 articles fondateurs d’avril 2019, sont accompagnés par un troisième dans le même numéro de ApJL mais qui exploite quant à lui des observations de ALMA seul et pas uniquement sur M87*..
L’intégralité de cet article publié sur le site “ça se passe là-haut” le 24 mars 2021 est ici
Des astronomes capturent l’image des champs magnétiques situés en périphérie du trou noir de la galaxie M87 (ESO)
Après avoir acquis la toute première image d’un trou noir, la collaboration de l’Event Horizon Telescope (EHT) révèle ce jour l’aspect, en lumière polarisée, de l’objet massif situé au centre de la galaxie Messier 87 (M87). C’est la toute première fois que les astronomes peuvent mesurer la polarisation, une signature des champs magnétiques, à si grande proximité du pourtour d’un trou noir. Ces observations permettent de mieux comprendre la façon dont la galaxie M87, distante de quelque 55 millions d’années lumière, est capable d’éjecter des flux énergétiques depuis son noyau. Monika Mościbrodzka, coordinatrice de Groupe de Travail sur la Polarimétrie de l’EHT et Professeur adjointe à l’Université Radboud aux Pays-Bas détaille :
Nous sommes en train d’acquérir l’indispensable élément de compréhension du comportement des champs magnétiques autour des trous noirs, et de l’impact, sur cette région extrêmement compacte, de toute cette activité sur la génération de puissants jets qui s’étendent bien au-delà de la galaxie.
Le 10 avril 2019, les scientifiques ont publié la toute première image d’un trou noir, révélant l’existence d’une structure annulaire brillante en périphérie d’une région centrale sombre – l’ombre du trou noir. Depuis lors, la collaboration EHT a approfondi les données acquises en 2017 sur l’objet supermassif situé au cœur de la galaxie M87. Ils ont découvert qu’une fraction significative de la lumière encerclant le trou noir de M87 est polarisée. Iván Martí-Vidal, également Coordinateur du Groupe de Travail sur la Polarimétrie de l’EHT et Chercheur Emérite du GenT à l’Université de Valence en Espagne précise :
Ces travaux constituent une réelle avancée : la polarisation de la lumière est porteuse d’informations nous permettant de mieux comprendre les processus physiques à l’œuvre derrière l’image acquise en avril 2019, ce qui était impossible auparavant. L’acquisition de cette nouvelle image en lumière polarisée a requis des années de travail, durant lesquelles des techniques complexes ont été utilisées pour obtenir et analyser les données.
La lumière se polarise lorsqu’elle traverse certains filtres, tels les verres des lunettes de Soleil polarisantes, ou lorsqu’elle provient de régions de l’espace caractérisées par des températures élevées et la présence de champs magnétiques. Tout comme les lunettes de Soleil polarisées améliorent notre vue en réduisant les reflets et l’éblouissement générés par des surfaces brillantes, les astronomes peuvent affiner leur vision d’une région située en périphérie d’un trou noir en examinant la polarisation de la lumière qui en est issue. Plus précisément, la polarisation permet aux astronomes de cartographier les lignes de champ magnétique bordant le pourtour du trou noir. « Les images polarisées nouvellement publiées sont essentielles pour comprendre la façon dont le champ magnétique aide le trou noir à « se nourrir » de la matière environnante et à émettre de puissants jets » ajoute Andrew Chael, membre de la collaboration EHT, membre du NASA Hubble au Centre Princeton dédié à la Science Théorique et de la Princeton Gravity Initiative aux Etats-Unis.
Les puissants jets de matière et d’énergie émis par le noyau de M87 s’étendent sur plus de 5000 années lumière. Ils constituent l’une des caractéristiques les plus mystérieuses et les plus énergétiques de la galaxie. La plupart de la matière située à proximité de l’horizon d’un trou noir s’y déverse. Toutefois, certaines des particules environnantes s’échappent quelques instants avant d’être capturées, puis sont projetées loin dans l’espace sous la forme de jets.
Afin de mieux comprendre ce processus, les astronomes ont utilisé différents modèles décrivant le comportement de la matière à proximité d’un trou noir. Toutefois, ils ne comprennent pas encore totalement la façon dont des jets de dimension supérieure à celle de la galaxie sont expulsés par les régions centrales, comparables en termes de taille à celle du Système Solaire, ni la manière dont la matière tombe dans le trou noir. La nouvelle image du trou noir et de son ombre en lumière polarisée a permis aux astronomes de la collaboration EHT de sonder, pour la toute première fois, la région située en proche périphérie du trou noir au sein de laquelle interagissent la matière entrante et la matière éjectée. Ces observations offrent de nouvelles informations relatives à la structure des champs magnétiques situés en proche périphérie du trou noir. Il est ainsi apparu que seuls les modèles théoriques postulant l’existence d’un gaz fortement magnétisé rendent compte des observations de la collaboration EHT au niveau de l’horizon des événements. Jason Dexter, Professeur adjoint à l’Université Boulder du Colorado, Etats-Unis, et Coordinateur du Groupe de Travail sur la Théorie à l’EHT précise :
Les observations suggèrent que les champs magnétiques présents sur le pourtour du trou noir sont suffisamment puissants pour repousser le gaz de température élevée et l’aider à résister à l’attraction gravitationnelle du trou noir. Seul le gaz qui traverse le champ peut tourbillonner vers l’intérieur, jusqu’à l’horizon des événements.
Afin d’observer le centre de la galaxie M87, la collaboration a associé huit télescopes répartis dans le monde entier – parmi lesquels figurent le Vaste Réseau (Sub-)Millimétrique de l’Atacama (ALMA) et l’Atacama Pathfinder Experiment (APEX) opérant tous deux depuis le nord du Chili, et dont l’Observatoire Européen Austral (ESO) est partenaire. Ainsi, l’EHT constitue un télescope virtuel de la taille de la Terre. L’impressionnante résolution des images acquises au moyen de l’EHT permettrait de mesurer la taille d’une carte de crédit à la surface de la Lune. « Grâce à ALMA et APEX qui, par leur situation méridionale améliorent la qualité de l’image en étendant le réseau EHT à l’hémisphère Sud, les scientifiques européens ont pu jouer un rôle central dans cette étude » ajoute Ciska Kemper, scientifique du programme européen ALMA à l’ESO. « Avec ses 66 antennes, ALMA s’est imposé lors de la collecte globale du signal en lumière polarisée, tandis qu’APEX se révéla essentiel pour la calibration de l’image. »
« Les données d’ALMA se sont avérées essentielles pour calibrer, imager et interpréter les observations de l’EHT, imposant de strictes contraintes aux modèles théoriques rendant compte du comportement de la matière à proximité de l’horizon des événements d’un trou noir », précise Ciriaco Goddi, scientifique à l’Université Radboud et à l’Observatoire de Leiden aux Pays-Bas, qui a dirigé une étude annexe reposant sur les seules observations d’ALMA.
Le dispositif de l’EHT a permis à l’équipe d’observer directement l’ombre du trou noir et l’anneau de lumière qui l’encercle. La nouvelle image en lumière polarisée montre clairement que l’anneau est magnétisé. Les résultats de cette étude font l’objet de la publication, ce jour, de deux articles distincts au sein de The Astrophysical Journal Letters par la collaboration EHT. Ce travail de recherche a impliqué plus de 300 chercheurs issus de divers organismes et universités du monde entier. Jongho Park, membre de la collaboration EHT et membre de de l’Association des principaux Observatoires de l’Asie de l’Est à l’Institut d’Astronomie et d’Astrophysique de l’Academie Sinica à Taipei conclut :
L’EHT progresse rapidement, bénéficiant d’innovations technologiques et de l’ajout constant de nouveaux observatoires au réseau initial. Nous nous attendons à ce que les futures observations de l’EHT révèlent avec une précision accrue la structure du champ magnétique autour du trou noir et les processus physiques qui gouvernent le gaz chaud présent dans cette région.
Source
Retrouvez l’intégralité du communiqué de presse publié par l’ESO le 24/03/2021 ici