La démocratisation en cours de l’accès au spatial
Article proposé par Siham Bouachrine : Docteur en droit, « Le Maghreb à l’ère spatiale », Paris Sorbonne, 1990. Consultante-Rédactrice freelance. (Version anglaise de l’article anglais)
Edgard Ploman prédisait il y a près d’un demi-siècle « Il y a 300 ans, ceux qui contrôlaient les mers contrôlaient le monde. Aujourd’hui, il s’agit de l’espace »
Dans la nuit du 30 mai 2020, un pas historique a été franchi par les Etats Unis dans la course à l’Espace générée par plusieurs facteurs d’ordre géopolitique et commercial. C’est également un événement majeur pour toute l’Humanité dont l’Espace, l’Univers constitue le Patrimoine commun. Vieux de quelques 13,7 milliards d’années, il est inconnu à 95% et doté de quelques cent mille milliards de milliards de planètes dans l’univers, dont plus de cent milliards au sein de notre galaxie et neuf milliards de planètes habitables.
Face à la concurrence traditionnelle de la Russie, puis à celle féroce plus récente et fulgurante de la Chine qui devient la nouvelle puissance spatiale émergente, et du fait de la pénétration du marché spatial par les sociétés privées autorisée par le Space Act adopté sous la présidence Obama, galvanisées de surcroît par la création d’une Space US Force par le Président Trump, tous les éléments étaient réunis pour que la Société Space X réalise cet exploit inédit. C’est à partir de la base de lancement américaine de Cap Canaveral et non plus russe, que la société privée Space X présidée par l’homme d’affaires Elon Musk a lancé cette nuit le vaisseau Dragon avec succès, son premier vol habité à l’aide de sa fusée Falcon 9 vers la Station spatiale internationale (ISS), défiant tous les scepticismes et les critiques proférées à son encontre. Déjà en décembre 2015, ce milliardaire à la tête d’une start up et patron de Tesla, passionné d’aventure, d’espace et de numérique faisait décoller son lanceur réutilisable Falcon 9 pour livrer des satellites dans l’espace à des coûts réduits et réussissait ainsi à en récupérer le premier étage ; Une première dans l’histoire des fusées spatiales. Une année plus tard, le lanceur Dragon livrait à l’équipage de l’ISS des fournitures, de la nourriture, de l’eau et du matériel destiné à des expériences scientifiques. Aujourd’hui, pour la première fois, cette fusée réutilisable a emporté avec elle deux astronautes américains. A la source, la ténacité d’un homme entouré de son équipe, mû par des considérations liées à sa personnalité, à la passion de l’inconnu, à celle pour le tourisme spatial, et à la certitude que notre planète Terre est vouée à un chaos climatique et à une future et probable pénurie des ressources naturelles. C’est dans cette perspective qu’il prévoit avec la NASA de coloniser la Lune en y envoyant une colonie humaine en 2024 et à plus long terme la planète Mars en 2033. L’exploit d’envoyer le Crew Dragon avec deux astronautes s’inscrit dans ce projet.
A l’ère où la démographie galopante atteint quelques huit milliards de terriens et alors que la première alerte rouge mondiale sur la perte de la biodiversité avait été lancée l’année dernière, que les concrétisations des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat s’avèrent plus que décevantes, les catastrophes naturelles et sanitaires plus que violentes et en hausse, l’élan vers l’exploration de mondes lointains se révèle d’une criante réalité. A cela s’ajoutent les perspectives mercantiles d’exploiter et de commercialiser les ressources minières lunaires (métaux rares, hélium) à l’échéance 2050, représentant un marché de plus de 100 milliards de dollars, mais également peut être celles de réaliser le rêve d’une démocratisation de l’accès au spatial pour tous. Dans ce contexte, avec son projet d’Internet pour tous, la société SpaceX a pour objectif de mettre sur orbite grâce à son lanceur réutilisable Falcon, une constellation de plus de 12000 satellites avec l’assentiment des autorités américaines, destinés à fournir un accès internet à haut débit au monde entier et dont une partie a déjà été envoyée(1).
L’Espace, moteur indéniable de développement durable au profit de tous les pays. Avec la capacité croissante des techniques spatiales, les retombées utiles pour le développement durable sont croissantes. D’objectifs purement militaires et géostratégiques, les enjeux sont principalement devenus économiques et depuis des décennies, les satellites améliorent sans cesse notre confort quotidien. L’Espace est de plus en plus « utile ». Les services offerts par les techniques spatiales répondent à une vaste variété de besoins de plus en plus diversifiés et pointus. Qu’il s’agisse des télécommunications satellitaires dont de nombreux champs de l’économie sont de plus en plus dépendants, des systèmes de navigation, de la télémédecine et du télé-enseignement au sein des zones rurales isolées, de l’observation de la terre dans les domaines de l’agriculture, de l’eau, des océans, de l’aménagement du territoire, de la météorologie, ou de la lutte contre les changements climatiques et ses dérèglements catastrophiques extrêmes qui constituent l’un des problèmes les plus pressants pour l’Humanité et pour notre planète Terre, notamment contre la sécheresse et la désertification en Afrique.
Les investissements dans le secteur spatial connaîtront une très forte croissance, en particulier au sein des pays émergents. L’engouement croissant de tous les pays et de nombreux investisseurs privés, les avancées technologiques novatrices et pointues et l’essor de l’industrie spatiale plus rapide que jamais, celui des techniques digitales, de la robotique, le développement des micro ou nano satellites de plus en plus sophistiqués, miniaturisés et à moindre coût et des micro lanceurs, les projets de fusées réutilisables confirment davantage la tendance au low cost spatial. Jamais, de tels progrès n’ont été jusqu’alors réalisés dans ce domaine. Le nouveau leitmotiv s’illustre désormais par davantage d’usage et moins de technologie. Les commandes de satellites ont considérablement augmenté en 2018, en application des recommandations de l’ONU pour un renforcement des synergies, dont l’objectif du programme “Espace 2030” vise à faire des activités spatiales l’un des moteurs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 pour atteindre les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), grâce notamment au low cost spatial (2). Ainsi, parmi les pays entrés récemment de plain-pied dans la sphère des acteurs spatiaux émergents, on compte le Maroc avec le lancement de deux satellites d’observation de la terre lui permettant de pourvoir de façon souveraine à l’acquisition des images satellitaires, et les Emirats Arabes Unis avec leur projet d’exploration de l’espace «Kalifa Sat » et leur projet « Hope » d’envoi d’ici 2021 d’une sonde sur la planète Mars et d’implantation d’une colonie martienne en 2117 (3). Membres de la toute nouvelle Organisation spatiale arabe regroupant onze Etats arabes, ils s’appliquent à élaborer des lois nationales et à mettre en place des programmes spatiaux adéquats.Quant au marché spatial africain, avec en tête, pionnière, l’Afrique du Sud, il affiche un énorme potentiel et représente actuellement annuellement plus de 7 milliards de dollars US. Déjà, entre 1998 et 2019, 32 satellites ont été mis en orbite par huit pays africains. Les prévisions portent le taux de croissance à plus de 40% dans les cinq prochaines années pour dépasser les 10 milliards de dollars d’ici 2024 (4). L’attrait du marché arabe et africain pour les investisseurs privés est considérable et la stratégie spatiale de l’Union Africaine ou Agenda 2063 en bonne voie.
Face à cette excitation et cet engouement légitimes, aux opportunités décuplées faisant des applications spatiales des leviers stratégiques qui impactent des pans entiers des économies industrialisées et émergentes et à la démocratisation en cours de l’accès au spatial, il faut garder à l’esprit l’importance des risques collatéraux. Au titre de ces inquiétudes, les questions environnementales dont celles des débris spatiaux, de la pollution de l’espace, de sa militarisation et de sa privatisation. Car le bouleversement en cours et à venir n’est plus seulement scientifique, technologique, écologique, éthique, philosophique, géostratégique ou économico-financier, mais essentiellement juridique. Avec la remise en cause par le New space Act des grands principes classiques du droit international de l’espace régi en particulier par le traité de 1967 que constitue notamment celui de non appropriation de l’espace, et le développement de règles nouvelles de droit privé économique, de règles liées la multiplication des capacités humaines dans l’espace et à l’intensification du trafic spatial, c’est tout un ensemble de valeurs et de règles traditionnelles qui seront bousculées, bouleversées.
Il est essentiel dans cette perspective que soient adoptées des règles de bonne conduite pour assurer une meilleure sécurité, responsabilité et viabilité des activités spatiales pour le bien commun de l’Humanité.
Version anglaise de l’article anglais
Publiée par Siham Bouachrine sur Dimanche 31 mai 2020
Sources
(1) Air et Cosmos. La rédaction du 21/01/2020
(2) Doc.AG/12083. 26/10/2018/73ème session, 26ème session plénière.ONU
(3) « Les Emirats Arabes Unis en route vers Mars avec l’aide des français ».Sylvie Rouat. Sciences et avenir.fr. 16/05/2015
(4)Space in Africa. African Space industry annual report-Africa news. 2019